vendredi 13 novembre 2009

Le Seigneur de la jongle

Alors là, on ne peut pas faire plus frais dans le dernier né. Bon, c'est vrai que c'est là le dernier poème en date, mais ça ne veut pas dire qu'il date d'hier non plus ! Il a bien deux ans le gaillard !
Je l'ai écrit un peu par hasard, un peu par défi aussi, pour voir si je pouvais dépasser le texte précédent sur lequel mon idée était que je ne produirais jamais rien de meilleur.
Et en effet, je trouve le texte moins bon que l'autre, moins bien ficelé. Autant le texte précédent me semblait bien circonscrit, présentait selon moi une unité bien tangible, autant cela semble partir dans tous les sens. Néanmoins, il est probablement le plus littéraire de tous, celui dans lequel j'ai fait le plus d'emprunts. Les termes "faim du tigre" sont en référence à ce titre de Barjavel que Marianne me fit lire. Bon, pas inoubliable sur tous les points, mais pas mal sur l'aspect féroce. J'ai ré-entendu parler de ce bouquin il y a moins d'un an, un de mes homologues lyonnais l'ayant choisi un jour de stage comme support à une intervention de type "expression en public sur un thème choisi". LA phrase du bouquin, celle qui en résume l'esprit est : "l'homme, c'est une seringue poussée par un bulldozer". Il n'échappera à personne quelle force poétique recèle cette saillie aérienne et pure ! Il aurait été dommage que je passasse à côté, non ?
Autre emprunt, la rime entre "tigre" et "immigre" que j'ai largement empruntée à Hugo ; mais d'un autre côté, c'est le genre de rimes emmerdantes ; pas grand chose qui puisse rimer efficacement. C'est du vol qualifié, je sais bien, mais il faut voir aussi que lorsque Hugo fait rimer "tigre" et "émigre" (entre "émigre" et "immigre" le principe est le même et mon maquillage grossier ne cache pas le vol...) il en profite pour sortir une ânerie demeurée célèbre, et j'ai tablé sur le fait qu'on se souviendrait plus de la connerie du grand poète que de la rime qu'il avait utilisée pour y parvenir ; souvenez vous, c'est le fameux : "Ah ! Mon très cher cousin, vous voulez que j' émigre / Dans cette Afrique où l' homme est la souris du tigre !" (Ruy Blas, acte IV, Sc. 2)... Bon il est toujours rassurant de constater que les grands hommes ont des faiblesses... Bien évidemment, la bêtise d'Hugo est décelable pour les moins incultes de mes lecteurs, mais je file la solution aux imbéciles qui n'y connaissent rien en faune sauvage, contre une enveloppe timbrée pour la réponse.
Encore un emprunt avec "Et soit l'or et le pourpre au manteau que je tisse" ; c'est plus subtil, puisque c'est né à partir d'un savant mélange des paroles de Gainsbourg dans "Initials BB", à savoir "Tandis que des médailles / D'impérator / Font briller à sa taille / Le bronze et l'or (...) / Et c'est comme un calice / A sa beauté" ; j'aimais bien cette idée d'alliage métallique ; il y a dans ces paroles un côté mystérieux et latin que je voulais rendre aussi : d'où "l'or et le pourpre". Enfin, je voulais marquer l'hommage à Gainsbourg en usant de la rime en "ice" (ou "isse"). J'imagine que ça passe inaperçu, et c'est aussi bien, parce que je suis assez content de ces deux vers dont je revendique la création totale, même s'ils sont inspirés par d'autres.
Encore un emprunt avec le dernier vers : parfaitement évident celui-là puisqu'il est repris in extenso dans "Il faut vivre" texte sublime auquel je n'enlève (presque) rien.
Bref, ce dernier plagiat est une sorte de tache finale ; mais j'ai des circonstances atténuantes : d'abord, je n'exclus pas de reprendre un jour ce dernier vers pour en faire une phrase qui soit vraiment de moi ; les emprunts in extenso ont tendance à me rendre insatisfait de moi-même. Enfin, il y a "Alors, que sous mes doigts les cordes musicales / Soient tes hanches creusées au souffle de tes râles" ; eh ben mes enfants, deux alexandrins comme ceux-là, je veux bien qu'on m'accuse de tous les pillages pour qu'on m'en laisse la paternité. Ils me sont arrivés comme des évidences et me sont tombés dans l'oreille d'un coup d'un seul. Et je persiste à penser qu'ils sont parmi les meilleurs que je ne produisis jamais.
Bon, il en ressort quand même que ce texte sent le "déjà vu" ; mais comme exercice de composition, je ne lui conteste pas une vraie fonction !
Il y a, pour finir, un mystère sur le titre du poème : en fait, je voulais essayer à l'origine une sorte de chanson avec cet alexandrin pour refrain ; mais bon, je l'avais déjà fait sans vraiment en retirer tout le contentement attendu. Pour autant, je trouvais ce vers assez bien balancé ; plutôt que de le garder comme phrase introductive, je l'ai mis en titre, même s'il n'a pas grand rapport avec le reste. En fait, il résonne en moi comme le plus intime des aveux : on m'a tellement et si souvent pris pour une grosse brute épaisse de corps sinon d'esprit, que cet "amant maladroit" c'est un peu moi, c'est le type à grosses pognes pour lequel on se dit que le désir, la sensibilité, l'élévation sont des incongruités absurdes. Combien, parmi ceux que je côtoie, savent ma vibration poétique, ou même la soupçonne sous mes dehors frustes ? Ce poème où je foisonne, c'est l'expression de ma considération distinguée pour celle "qui sera ma femme. Celle que j'aime, en somme !"
Naturellement, les tigres vivent en Asie et pas en Afrique.