mardi 26 juillet 2016

Le petit m'atteint (bis)

Ah , Le Cénotaphe, enfin, remplit son rôle, puisque me voici à publier des vieilles choses ; plus exactement, me voilà à finir un vieux poème laissé en plan. En juin 2014, j'avais écrit deux quatrains (voyez la reprise ci-dessous) sur la magie du jour qui se lève. Évidemment, ce n'est pas d'une originalité phénoménale, amis après tout, pourquoi faudrait-il se dispenser d'écrire simplement parce que l'image est déjà parue ?
Donc, j'ai poursuivi le poème. Il me restait comme un travail à faire, une tâche à accomplir, et en cela, l'idée d'avoir à le reprendre ne me plaisait qu'à moitié ; écrire par obligation, quelle purge !
Je suis plusieurs fois revenu vers ce texte ; le dernier vers du second quatrain ne me plaisait pas ; il était trop compliqué, trop emmêlé. Je voulais rendre la juxtaposition des couleurs dans le ciel du matin, mais ça n'allait pas : "Entre l'ombre et le noir quelques minutes assises / La pénombre de l'aube et des soirs bord-à-bord" ; il y avait un hiatus subjectif là-dedans ; comme une redite ou un "mal dit" assez grossier.
Il fallait donc, avant d'envisager la suite, reprendre ce vers ; je l'ai tenté maintes fois sans y parvenir. Et depuis quelques jours, j'avais dans la tête une image qui pouvait se résumer par "la ligne des toits" ; encore fallait-il lui trouver une expressivité suffisante, mais comme souvent, chaque fois que je voulais mobiliser mes pensées sur cette moitié de vers, j'étais pollué par une création d'autrui ; en l'occurrence "Le Capitaine" de Sheller et son "Dites-mois voyez-vous au loin la ligne des dunes / Qui borde la maison de thé ?"
Donc, première tâche, arriver à s'extraire de cette musicalité ; ce qui me prit deux jours et deux nuits avec le phénomène classique qui fait qu'on tient l'idée qui va bien au moment de s'endormir, qu'on ne se lève pas pour la noter "parce que c'est tellement limpide et évident que je m'en souviendrai forcément" et qu'au matin, on l'a déjà oubliée et qu'il est impossible de la retrouver....
Donc, "sur la ligne des toits d'où l'aube hésite encore" est quand même bien mieux que le version d'avant.

Restait à poursuivre ce poème ; mais je me méfie de moi-même, et comme je me sais très porté vers les 5 strophes, je me suis dit que le mieux serait encore de produire un sonnet, c'est à dire de n'ajouter que 6 vers à l'ensemble.
Ce qui n'est pas forcément plus facile.
Je voulais utiliser, comme je l'avais évoqué dans mon commentaire de juin 2014, le son du sable sur les trottoirs qui est particulier dans les matins d'été ; mais j'avais déjà utilisé "sable" dans mon fameux "monnaie de songe" que je ne changerais pas pour tout l'or du monde.
Puis, l'idée des coureurs du matin ; plus ennuyeux, Sheller la déjà fait ; oui, mais c'était une image d'un parc, et j'avais, moi, celle d'une rue et d'un trottoir en sable (on dit en "gore" comme je l'ai appris quand j'étais en 4ème à Lyon, mais je n'ai plus jamais entendu ce terme ailleurs ; dans le coin burgonde comme ailleurs, on dit "en stabilisé" alors que pour moi, les trottoirs ensablés comme les terrains de sports ont toujours été en gore... Au point que j'ai fini par imaginer que ce terme n'était pas le bon ou constituait un idiotisme si local qu'il ferait mieux de rester discret. Et puis, zut ! En cherchant un peu, j'ai trouvé en effet que le terme était surtout utilisé dans le lyonnais, et qu'il avait même une orthographe spécifique dans le beaujolais, en gorrhe, et même ghorre ! Alors bon, va pour gorrhe ! - https://fr.wikipedia.org/wiki/Ar%C3%A8ne_(g%C3%A9ologie) )
Donc, j'ai gardé mes joggers ! Et le vers "font tinter bien trop tôt le gorrhe des trottoirs" avec tous ces T qui marquent le rythme de la course.
Pour les deux tercets, je me suis penché sur les règles en matière de rimes et de croisements ; j'ai surtout retenu qu'en termes de règles, il n'y en avait quasiment aucune ! Aussi ai-je inventé ma propre règle avec un audacieux : ABA/BAC.
Quant au message du dernier tercet, je le revendique comme la transcription exacte des sentiments de solitude et de toute puissance de celui qui, seul, assiste au lever du jour.
Dans ce sonnet, finalement, chaque strophe à son vers majeur !
Le titre, en revanche, bon, c'est bâclé ! On trouvera mieux !



[Publication du 12 juin 2014]

Voici une dizaine de jours que j'ai écrit ces lignes. Peut-être plus.
Tous les ans vers le mois de juin, je souffre d'insomnies terribles : je me réveille à l'aube, poussé par une inexplicable nécessité de voir le jour se lever.
De mes années de veilleur, je garde des souvenirs crus de petits matins d'été : une compilation de sensations pour tous les terminaux sensoriels : l'odeur qui monte de la terre et des bitumes, les sons clairs dans l'air sec, la luminosité qui donne à tout des couleurs inespérées quelques minutes auparavant. La chaleur qui tombe d'un coup, qui s'impose d'emblée dès les premiers rayons de soleil qu'on prend directement ; cette chaleur qui n'est d'abord que dans les espaces soumis au soleil et dont on s'étonne quelques minutes plus tard, qu'elle se répande au-delà de la lumière qui la génère. D'abord, tout s'éclaire ; seuls se réchauffent les espaces exposés au soleil. Puis, même ce qui reste à l'ombre s'embrasse et cuit.
Dans l'air tout neuf du petit matin, le bruit des pas est cristallin, le sable des trottoirs résonne en grelots.
Et sur tout cela, j'ai le souvenir de l'odeur inimitable, entre le pain grillé et le caramel, de la cigarette qu'on allume parce qu'on est debout depuis déjà deux heures...
Je voulais rendre plus ou moins ces impressions ; exercice difficile, puisque je ne suis pas certain du tout que ce ressenti soit très partagé par quiconque : il faut avoir été veilleur de nuit pour comprendre ? Au moins en édulcorant un peu, on peut peut-être être parlant pour le plus grand nombre ?
Dans ce qui n'est probablement ici qu'un  début (deux petites strophes), je me contente de "que le sable aux paupières paye en monnaie de songe". Depuis des années je voulais utiliser ce jeu de mot monétaire. Je trouve que dans ce contexte, ça le fait bien.