mardi 21 août 2012

Bonheur du poisson rouge

Il paraît que les poissons ont une mémoire immédiate qui n'excède pas 15 secondes... Outre que cela a permis aux studios Pixar de créer le très réussi personnage de Dory dans "le Monde de Némo", cela me jette dans un océan de perplexité et de circonspection. Je suis perplexe : comment mesure-t-on scientifiquement la durée de la mémoire immédiate  d'un poisson ? Si vous lui donnez à manger régulièrement et qu'il ne vient jamais au devant de vous en remuant la queue, c'est qu'il ne vous reconnaît pas ? Ensuite, je suis circonspect : si nous avions la chance d'avoir une mémoire oublieuse, s'effaçant rapidement, ce serait évidemment handicapant pour tout un tas de chose, mais tellement confortable pour tout un tas d'autres choses... Une sorte de béatitude chaque fois renouvelée devant les merveilles du monde ; jamais blasé, jamais déprimé, toujours surpris et heureux de découvrir... Voilà qui me renvoie fatalement à ce film "Paradis pour tous" que je n'ai vu qu'une fois, et partiellement, à la télé. Rôle principal Patrick Deweare que je déteste (mais vu que le film a l'air d'être son dernier, il lui sera beaucoup pardonné)... mais excellent film quand même, où chacun est amené à prendre un traitement plus ou moins lobotomisant ; tout est alors parfait dans le meilleur des mondes ; les gens s'occupent à des choses futiles (je me souviens d'une scène ou Dewaere, qui a eu le traitement, ne parle que du dessin de sa ceinture abdominale qui tarde à se concrétiser malgré ses efforts de culturisme, tandis que sa compagne -Fanny Cottençon?- essaie de lui parler de choses graves et sérieuses). Je crois me souvenir que la bande sonore est "on ira tous au paradis", à moins que la proximité des titres ait induit dans mon esprit un rapprochement artificiel.
Bref, pas de mémoire : le bonheur ! Aucun regret, aucun remord, aucune frustration, aucune perception du temps qui passe et s'enfuit... Un enfer aussi ! Aucune envie, aucun projet, aucune histoire, aucun avenir !
Je m'amuse beaucoup à l'idée que Dewaere se soit supprimé après avoir fait ce film...
Bref, je me souviens que j'avais écrit aussi un truc dans un poème poussif et qui disait "Dès lors qu'on se souvient, comparant l'actuel / La mémoire est affreuse et devient un parjure / La mémoire est affreuse : on se souvient trop bien".
Si je suis d'accord avec Desproges pour dire que "l'intelligence est le seul outil qui permette à l'homme de mesurer l'étendue de son malheur", alors la mémoire permet de comparer ce malheur et de le situer dans un espace temporel restreint, qui s'amoindrit et résonne des bruits clairs et bien connus de naguère.
Naturellement, c'est sur ce thème que j'avais écrit ce "le Fossoyeur". Pour mesurer dans sa mémoire le sentiment de perte irrémédiable, il faut bien entendu être en situation d'avoir eu des choses à perdre et donc d'en avoir souffert un tant soit peu. Ce qui me fait dire que, même si je n'ai pas la date de ce texte en tête, je pense qu'il date de 1993 ou 1994, guère plus.
Dire que je me souviens des circonstances précises dans lesquelles j'ai écrit ce texte serait abusif. Je me souviens en revanche que, chose rare, j'étais à la maison. De tous les textes que j'ai produits, il a une originalité notable dans sa genèse : il est ici quasiment tel qu'il fut au premier jet. Je pense n'avoir pas mis plus de 30 ou 40 minutes à l'écrire. Du coup, je ne lui trouve aucun vers particulièrement puissant, mais l'ensemble est à mon sens très efficace. Surtout, je le trouve à la fois équilibré, long et assez narratif. De tous ceux que j'écrivis, peut-être est-ce le plus simple, le plus direct. Pas mon préféré pour autant.
Le thème choisi me semblait un peu bateau quand même ; l'illustration aussi, mais je trouve que l'ensemble est assez réussi. Hormis le titre ; quelle pitié ! Ce titre est assez lamentable et ne rend pas justice à l'ensemble. Disons que ce poème est transitoire : le titre est très ado attardé, comme le sont certains tics de vocabulaires qui versent et versifient dans le gore et l'hémoglobine de façon inutile : l'histoire de "l'abcès gonflé" des "purulences" qui sont "vomies" franchement, ça fait ado attardé... Mais ne nous y attardons pas !
L'écriture, donc, s'est faite très très rapidement et sans avoir à forcer ; il reste un vers maladroit : "avec cette impression de provoquer le sort" ; il y a un hiatus assez disgracieux à mon avis...
La cinquième strophe, celle de "l'abcès" a une petite histoire ; d'abord une retouche, puisque après la publication, j'avais modifié le "à coups de pieds" par "à coups d'épée" ; on n'y gagnait franchement pas grand chose ! Un peu moins barbare comme image, peut-être ? Le coup des "remords mal assouplis" est une idée de mon père. Dans un autre texte de prime jeunesse, j'avais écrit un truc qui faisait "...flasque et mou, assoupi...". Mon père m'avait suggéré de mettre "...flasque et flou, assoupli..." A mon avis, il était incapable de mettre un mot sur ce qu'il venait de faire : il venait de créer une allitération du plus bel effet ; cela changeait le sens de ma phrase initiale, mais lui donnait tellement plus de puissance ! Je me souviens que j'avais accueilli l'idée avec distance. L'idée en elle-même me paraissait à ce point excellente, que j'étais presque vexé d'avoir pondu une phrase si creuse... Et puis, c'était la première fois (et pour tout dire c'est resté l'unique fois) que quelqu'un dans mon entourage me suggérait une modification fondée sur son ressenti. Dans cette façon de faire sien mes enjeux, il y avait une sorte de cause commune à laquelle je ne m'étais pas attendu ; mais qui me ravit au plus haut point ! J'ai depuis délaissé le vieux texte "flasque et flou" ; mais dès que j'en eus l'occasion, je me servis de cette astuce : dans ce texte, elle tombe bien. Une sorte d'hommage, aussi.
Bien entendu, je pourrais, j'aurais pu, réécrire certains autres vers ; mais il me semble que cela nuirait à l'équilibre général. J'ai peu lu ou relu ce texte.Il m'apparaît comme une réussite de laquelle je ne tire pas grand mérite. Comme une sorte d'évidence que je n'avais plus qu'à recopier. La dernière strophe est juste comme il faut pour conclure le poème. Encore une fois, je la trouve efficace, idéale à cet endroit, avec les bons mots et le bon rythme, mais elle n'évoque en moi aucune vibration particulière.
La version présentée ici est celle publiée dans Le Renégat N°4 ; superbe dessin de Claude Poser ! Il était présenté en page centrale sur deux feuille, comme un poster. Le pseudo : Pierre (pour mon père ? Je ne sais plus...) ; Vargant : pris dans l'annuaire.

mercredi 15 février 2012

RAZ

Alors voilà : j'ai écrit ce texte il y a une petite quinzaine. Les trois premières strophes sont allées assez vite et les deux suivantes furent plus longues à s'organiser. Je suis assez content du résultat, parce que ces quatrains sont tout à fait dans la lignée de ce que je voulais refaire, c'est à dire revenir à une écriture plus fluide, moins symbolique, moins éthérée. Une sorte de retour aux origines, et qui m'aura été difficile, presque douloureuse. Naguère, quand j'écrivais, je me laissais un peu dicter les rimes par l'impression générale, par une sorte de contexte particulier qui en quelque sorte se révélait au fil de la description. Et puis, ces dernières années, j'avais finalement opté pour des choses très léchées, très organisées, très construites, très conceptualisées et donc peut-être trop conceptuelles.
J'ai donc cette fois volontairement fait simple : rimes plates et formes classiques. Pour composer ce texte, je voulais absolument partir en décasyllabes. "La mort des amants", qui est sur ce modèle, me fascine ; en deux fois 5 pieds, le décor est planté : "Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères" ; une claque !
J'étais arrivé à une strophe satisfaisante en décasyllabes ; puis, juste pour me convaincre que c'était très bien ainsi, j'ai tout mis en alexandrins. Patatras ! C'était mille fois mieux avec 12 pieds!!
J'ai quand même conservé la rime initiale de Baudelaire (rime en ère) ce qui de mon point de vue était une sorte de justice rendue.
Sur le fond, il s'agissait encore, un peu sur le thème évoqué dans "regards furtifs" de parler des amours impossibles entre qui voudrait et qui n'y songe même pas.
Depuis toujours, je suis hanté par ce principe peut-être faux mais tellement ancré en moi : tous les hommes sont des sortes de brutes épaisses qui font des efforts sur eux-mêmes pour s'élever au niveau des femmes, qui elles condescendent parfois à descendre jusqu'à eux. Depuis tout petit, j'ai été éduqué dans cette image : une espèce de sacralisation assez malsaine des femmes, qui eut pour effet premier de me paralyser complètement au moment de les approcher. Même encore maintenant, je suis souvent tétanisé à l'idée de dépasser le stade du badinage verbal. Finalement, la monogamie est faite pour moi, je crois...
Cherchant dans mes souvenirs, c'est d'abord une image de BD qui me revenait, celle de l'héroïne du Sursis cette très belle BD de Gibrat. Allez savoir pourquoi, l'image jointe ici, et qui fut longtemps mon fond d'écran sur l'ordi, était mélangée avec celle de la couverture de la BD, quand la fille est à une table de café. Bref, le fantasme de ce poème était un mélange de trois images : deux venant du Sursis la dernière était celle d'Audrey dont la vision souriante à la table du restaurant où je l'emmenai déjeuner le mois dernier, me restait comme une apparition obsédante. Cette fille a 20 de moins que moi (18 en fait). Elle est née en 1990 ; je passais mon bac cette année-là ; l'année 90 est la meilleure année de ma vie.
Je suppose que tout le monde vit cela à un certain moment, vers la quarantaine, quand on sait qu'on entame la seconde moitié de sa vie : ce n'est pas tellement que j'ai le sentiment d'avoir raté ou manqué quelque chose ; globalement, ces 20 dernières années, je me suis bien amusé. Non, c'est juste que précisément, je le referais bien, maintenant que je sais que c'est pas mal. A mi-parcours, je me dis qu'un seul tour, c'est bien court !
Bah ! Même si j'ai été tenté de me rapprocher d'Audrey, d'aller plus près d'elle, je savais bien que c'était illusoire ; d'ailleurs, cette tentation idiote n'avait même pas de but précis. Peut-être voulais-je tout simplement espérer humer encore le parfum de mes 20 ans. Ma foi, je lui ai fais la bise en partant du restaurant ; geste hénaurme d'audace !