vendredi 25 novembre 2022

Chambre avec vue

Ma dernière création, datée du 20 novembre 2022. Période vraiment compliquée où, depuis le 12 octobre, j'ai enchaîné les vraies déconvenues de santé.

Je suis resté plusieurs semaines à l'hôpital et notamment plusieurs jours début novembre dans une état second, ne percevant qu'une réalité altérée : pas d'hallucination, mais une sorte d'état décalé, les sens ne fonctionnant qu'avec une sorte d'effet retard.

Laure est venue plusieurs fois me voir dans les différentes chambres d'hôpital que j'occupais et plusieurs fois je me suis retrouvé après son départ à mélanger ses visites : quel jour était-elle venue ? Matin ? Soir ? Pas de visite autorisée le matin, donc réellement, je mélangeais le déroulé des journées...

Bref, ses attentions pour moi arrivaient parfois dans un complet désarroi sensoriel.

Et puis, je me suis mis à fantasmer sur une visite inattendue. Je me souvenais de cette scène d'un érotisme intenable dans "Fenêtre sur Cour", au début, où Grace Kelly vient réveiller James Stewart par un baiser* dans la pénombre. L'homme à peine réveillé semble croire à une sorte de mirage. Sur les images, on distingue d'abord l'ombre de Liza sur le visage de Jeff. Cette présence n'est qu'une silhouette.

Et moi, j'étais parfois tellement dans le coltard, qu'aucun baiser ne m'aurait tiré des limbes. Ainsi me vint l'idée de ce poème que je voulais bref, introduit par un vers hexasyllabe.

Les premières rimes me sont venues précisément le 4 novembre à 9h50 et faute de papier, pour ne pas les perdre, je les ai enregistrées sur mon téléphone. Essentiellement la première strophe et une moitié de la deuxième.

Les autres ont été créées sur papier le dimanche 20 novembre, la veille de mon départ de la clinique des Rosiers où je n'aurais jamais dû mettre les pieds.

Je voulais donc introduire chaque rime par un hexasyllabe décorrélé de la rime générale. Bien plus, je voulais que ces introductions puissent être autonomes à double titre : d'abord des phases complètes n'ayant pas besoin d'un autre hémistiche. Des sortes d'assertions, de certitudes avant l'évocation des perceptions dont on ne saurait pas si elles avaient une réalité tangible ou pas.

En second lieu, je voulais les présenter en gras, chacune, pour créer une sort de second poème dans le poème : 

"Elle est venue me voir
J'ai deviné son ombre.
J'en ai la certitude.
Elle m'a laissé dormir.
Je ne perçois plus rien."

Ç'aurait marché, pour le coup, s'il y avait eu des éléments de rime entre ces 6 phrases, mais comme ce n'était pas le cas, les modifier aurait fait prendre le risque de retomber sur les mêmes rimes que dans les vers, et alors, on appauvrissait l'ensemble.

Contrairement à beaucoup de mes textes, pas vraiment de phrase ou d'image choc, à part peut-être "Le bruit des pas s'éloigne, happé par le couloir" qui est une image bien rendue. Le reste est assez simple ; j'utilise avec modération les adjectifs et le poème ne souffre pas de complications métriques avec des inversions sujet/verbe auxquelles certains recourent quand ça ne tient pas debout.

Deux petites entorses : en termes de métrique pure, j'avais initialement écrit vers 9, "son décolleté sage" ; si on respecte la bonne diction, on a six pieds : "son-dé-col-le-té-sage"

Oui, mais qui prononce de "e" muet infernal de nos jours ? J'avais toutes les chances qu'à la lecture, l'élision de ce "e" ne déséquilibrât l'alexandrin. Aussi opté-je pour "son-dé-col'-té-trop-sage", sacrifiant la pure métrique à la facilité de lecture et de déclamation.

A peu près pareil pour l'entame suivante : "Elle m'a laissé dormir" fait 7 pieds et non 6 et le verbe laisser est repris du vers précédent ; tant pis, j'attends les procès !

Je suis heureux d'avoir renoué avec l'écriture, que je trouve plus dépouillée, plus franche, plus courte, plus directe.

J'espère que ça va revenir encore !

J'ai intégré le texte à une éventuelle version augmentée et mise à jour du "Cénotaphe".