lundi 21 décembre 2020

Maman

 En voilà un dont je me serais passé. Maman est morte l'autre dimanche vers midi trente. Temps froid et immobile de décembre et tandis que le soleil mettait un peu de doré dans le paysage, je me suis aperçu crument que je ne verrai plus ma mère. Tout le panorama prenait gentiment des couleurs bizarres : on se serait cru le matin alors que le jour vivait ses derniers feux. Une image m'a frappé : "dans le petit matin du premier jour sans elle".
Pendant deux jours, je suis resté sur cette idée simple dont je pensais qu'elle pourrait être une sorte de répétition dans un texte hommage. Sur le chemin du retour d'Auxerre, mardi soir, j'ai sangloté comme un enfant en évoquant cette image ; je savais qu'il serait compliqué de dire ou lire ces phrases sans perdre pied.
Une bonne partie de la journée du mercredi, je tentai de mettre en peu d'ordre dans quelques idées. Dans la nuit de mardi à mercredi, notamment, je trouvai l'idée d'en appeler à cette phrase superbe "Éli ! Éli ! Lama sabachtani ?" qui sont comme chacun sait les derniers mots prononcés (en hébreux ou en araméen ?) sur la croix par le Christ : "Mon dieu ! Mon dieu ! Pourquoi m'as-tu abandonné ?"
Non  que je m'identifie à un quelconque rite sacrificiel, mais parce que cette idée d'un enfant qui se croit abandonné allait très bien avec ce que je voulais donner comme impression.
Le reste fut un peu laborieux, et, comme souvent, se décoinça d'un coup. Je parvins à composer 3 strophes un peu avant que mon frère et ma sœur n'arrivent à la maison pour que nous fassions le texte de "présentation de la défunte" qui devait être lu aux obsèques le lendemain. J'avais prévu de leur lire le texte, mais l'occasion ne s'est pas présentée, si bien que tout le monde en eut la surprise au moment des obsèques.
Grosse impression ; j'ai aperçu de vrais éclats de larmes dans l'assistance et beaucoup m'ont fait compliment de ce petit poème.
Techniquement, il souffre de défauts, notamment métriques.
Mais il est le bon reflet de ma vraie détresse au moment de la mort de ma mère.


jeudi 2 janvier 2020

Didascalie

Curieux de voir comme certains mots sont si laids qu'ils en deviennent hostiles : didascalie. Autrement dit, les indications scéniques d'un auteur de théâtre qui aident à la mise en scène. Est-il mot plus vilain et plus tordu pour dire si simple ?
Bon, comme je déteste autant trouver des titres, il me semblait qu'utiliser un mot moche pour une tâche aussi creuse irait aussi bien à l'un qu'à l'autre.

Depuis des semaines, je suis obsédé par cette image : une âme en peine, la nuit, insomniaque et fébrile ; triste, évidemment. Et personne sous sa fenêtre ? Ou plutôt quelqu'un d'inopportun ?
L'idée d'une âme perdue n'espérant plus rien ni personne ; et comme par dérision, un autre âme seule, s'imaginant sous sa fenêtre des histoires improbables. Une connexion qui me semblait forte, même surnaturelle... et vouée à l'échec. Plus qu'une tragédie grecque où tout est verrouillé : la certitude que l'autre ne peut rien à la tristesse de l'une.
Didascalie, comme si tout était absolument écrit d'avance, comme il devient évident que les personnages sont toujours prisonniers de l'idée que s'en fait leur auteur. Et l'idée aussi, qu'au-delà de ces moments tristes et seuls, seuls vrais et profonds, le reste n'est que la comédie des jours qui s'enchaînent. Thème assez classique mais que je n'avais jamais abordé : quelle est la part de vrai et de représentation dans nos actions quotidiennes ? A quel moment joue-t-on un rôle ?
J'ai choisi de continuer à évoquer cette idée de représentation y compris dans la description de moments seuls et intimes, a priori débarrassés de leur contingence sociale ; non pour dire que tout est faux et surjoué, y compris les moments de sincérité, mais pour le quiproquo. Pour insister sur cette totale et complète incompréhension entre les acteurs/auteurs de cette romance de trottoir. L'une est dans ses moments de complète solitude, l'autre est aussi seul, mais comment ne pas voir une scène où chacun tient sa place ? Lui voudrait exister pour elle ; elle ne le sait même pas présent. Qui est le personnage de qui ? Ah ! L'incommunicabilité, voilà tout ! Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, on n'est jamais certain d'être reçu, perçu, compris, entendu pour ce qu'on est. Tout interprète tout ; tout est théâtre et quiproquo.

Techniquement, me remettre aux alexandrins fut bien compliqué ; je me bats contre moi-même dans cette affaire ; je refuse d'y revenir et je dois admettre pourtant qu'ils sont la seule musique qui me coule dans le coeur.
Je voulais convoquer Cyrano et Roméo ; naturellement, sous une fenêtre, à qui d'autre penser ? Il y avait aussi Figaro, mais l'aspect comique du personnage se prêtait mal à l'atmosphère.
Je voulais aussi un poème court ; 4 strophes max et finalement, trois sont suffisantes. Je me suis entêté à mêler le champ lexical du theâtre. Je n'aime pas le théâtre : j'en ai pratiqué trop et de trop près pour lui trouver du charme.